date de publication 2022-05-22T05:15:10Z
À Roland-Garros , Jo-Wilfried Tsonga disputera cette année le tout dernier tournoi de sa très riche carrière, marquée par une finale à l’Open d’Australie en 2008 et deux Masters 1000 remportés. Cette semaine, celles et ceux qui ont côtoyé de près le Sarthois de 37 ans ont témoigné. Après son frère Enzo , ses différents entraîneurs , ses amis joueurs et ceux avec qui il mènera sa future vie professionnelle, c’est Jo-Wilfried Tsonga lui-même qui nous a reçus à Lyon et a accepté de poser son regard sur tout le chemin accompli. Et d’ouvrir son cœur, lui le grand pudique.
Comment avez-vous géré le flot de sollicitations médiatiques avant votre dernier tournoi ?
Je savais déjà depuis un moment que j’avais envie d’arrêter à Roland-Garros et je n’avais pas envie de l’annoncer trop tôt pour ne pas avoir à subir ce flot médiatique trop longtemps. Il faut en passer par-là, mais c’est vrai que c’est assez fatigant car je continue de jouer et qu’il y a aussi d’autres sollicitations autour. Et vu que je ne suis plus au top de ma forme, tout ça me prend forcément pas mal d’énergie.
Physiquement, comment vous sentez-vous ?
Je me sens de mieux en mieux jour après jour. Je suis assez content car je vais arriver quand même en forme sur ce Roland-Garros, sans blessure. Je me sens bien.
Avez-vous voulu vous libérer d’un poids en quelque sorte en annonçant votre retraite à Roland-Garros ?
C’était me libérer d’un poids, bien sûr. Je sais aussi que je n’ai joué qu’une année pleine sur les trois, quatre dernières années, donc mon corps n’est plus adapté au tennis de haut niveau, donc aux meilleurs joueurs du monde, ce que j’ai été pendant une dizaine d’années. Pour moi, c’était dur de jouer en ne gagnant plus, et qu’on dise « oh il n’est pas bon » et tout ça, alors que, dans ma tête, je savais que c’était les derniers rushs.
Vous avez joué deux demi-finales à Roland-Garros en 2013 et 2015. Symboliquement, c’était le lieu parfait pour arrêter ?
Roland-Garros est un tournoi qui aura marqué ma carrière tennistique, dès mon plus jeune âge puisque j’ai réalisé mes premiers stages nationaux là-bas quand j’avais 11, 12 ans. Parfois, je restais pendant un mois à Roland-Garros l’été. J’y ai joué ensuite les championnats de France de toutes les catégories d’âge, j’y ai joué une demi-finale de Coupe Davis… J’ai eu des très bons résultats sur la terre de Roland alors qu’en général, je n’étais pas le meilleur joueur sur terre battue, ce n’était pas ma spécialité. Je suis content de pouvoir finir là-bas.
Votre dernier match rêvé, vous l’imaginez comment ?
Un match dur ! (rires) Un match accroché, où je vais au bout de moi-même. Voilà comment j’imagine la fin, en tout cas voilà comment j’aimerais que ça se passe, peu importe l’issue des matches. Le plus important pour moi, ce sera de me battre jusqu’au bout et de finir dans une belle ambiance, comme je l’ai toujours vécu finalement à Roland-Garros. J’ai toujours eu la chance d’être supporté à chaque instant. J’ai forcément envie de finir comme ça.
Peu importe l’adversaire ?
Je n’ai pas vraiment la certitude de pouvoir accrocher les meilleurs joueurs du monde aujourd’hui. Mais mon niveau reste plutôt correct. Je me dis qu’en fonction de qui je rencontre, je peux effectivement avoir mes chances de pouvoir avancer. Je ne fais pas de plan sur la comète, j’essaie juste d’être assez assidu sur le travail et arriver bien préparé là-bas pour faire la meilleure performance possible.
Ce sera dur de contenir les émotions ?
Ce sera presque impossible (sourire) . Ça aussi, j’appréhende un petit peu parce que je ne suis pas celui qui préfère ce genre de moments. Mais d’un autre côté, je ne suis pas non plus celui qui arrive à cacher ses émotions. J’ai eu un petit aperçu de ce qui m’attend à Lyon (son avant-dernier tournoi, défaite au 1er tour), et c’était douloureux ! (rires) C’était sympa, mais douloureux.
Qu’est-ce qui va vous manquer le plus dans la vie de tennisman professionnel ?
Le jeu. Je suis foncièrement accroché au jeu, à l’engagement, au dépassement de soi, à l’adversité, le rapport au public sur le terrain, pas forcément en dehors. J’échangerais bien celui sur le terrain avec celui en dehors (rires) , car je suis quelqu’un de plutôt discret et réservé dans la vie. Mais oui, l’ambiance sur le court, tout ce stress qui montait avant de rentrer sur le terrain, l’adrénaline au moment des points importants.
Votre carrière va peut-être défiler sous forme de flashes lors de vos derniers points. Si oui, quels seraient ces flashes ?
Je n’en ai aucune idée honnêtement, je vais laisser venir les choses. Certainement que je vais avoir des images en tête mais je ne sais pas lesquelles. Est-ce que ce sera de l’ordre du tennis, est-ce que ce sera par rapport à ma famille ou autre chose ? Ce sont des points d’interrogation et j’attends de vivre le truc, j’ai envie de le vivre pleinement donc je ne me projette pas trop.
Vous n’avez aucun regret aujourd’hui ?
Je me retire sereinement parce que je suis un homme heureux, comblé. J’ai fait beaucoup de choses dans ma vie déjà pour mon « jeune âge ». Le tennis m’aura permis de rencontrer plein de gens chouettes, de découvrir plein de cultures, plein de pays, de découvrir plein d’émotions fortes, dans le positif comme dans le négatif d’ailleurs. Je me sens comblé parce que j’ai ma petite famille, mes enfants qui sont en bonne santé. J’ai tout ce qu’il faut pour me sentir bien.
Ne pensez-vous pas qu’on sous-estime parfois votre carrière ? D’autant plus quand on voit que la relève du tennis français tarde à arriver. On se rend compte un peu plus maintenant de la chance qu’on avait avec les Mousquetaires…
Ouais, après ça m’est égal ça un peu (rires) . Moi, je sais ce que j’ai accompli, je sais par quoi je suis passé, je sais la chance que j’ai. Aujourd’hui, ça m’est égal qu’on me reconnaisse ou pas. Au départ, quand on joue, on n’est pas à la recherche de ce truc-là. Quand on est jeune, on joue parce qu’on aime le jeu, qu’on aime gagner et on ne regarde pas plus loin que ça. Ce que pensent les gens leur appartient. Ceux qui diront que c’était bien, j’en serai très heureux, et pour ceux qui diront que ce n’était pas assez, malheureusement, je ne pourrai pas revenir en arrière (rires) . C’est comme ça.
Les gens qui vous connaissent bien décrivent un décalage entre le tennisman ambitieux que vous avez toujours été et la personne que vous êtes en dehors, quelqu’un d’émotif, sentimental. Aviez-vous besoin d’une carapace ?
C’est sûr qu’on se protège de certaines choses. Ma personnalité de tous les jours est forcément liée à mon éducation. Mais sur le terrain aussi finalement. Je considère que je ne suis pas vraiment né avec une cuillère en or dans la bouche. Tout ce que j’ai aujourd’hui, j’ai dû aller le chercher à la sueur de mon front. Je me suis entraîné, j’ai travaillé dur, on ne m’a jamais rien donné, à part beaucoup d’amour. Ça m’a souri et, sur le terrain, j’avais, comme tout le monde je pense, des frustrations à évacuer.
Auriez-vous préféré vous retirer avec une relève plus installée au niveau du tennis français ?
Je n’ai pas forcément d’avis là-dessus. Moi, j’ai fait ce que j’avais à faire. Et pour la suite, je serai le premier ravi qu’il y ait un petit frenchie qui déchire tout et qui aille chercher ce fameux titre du Grand Chelem que le tennis français attend. Je serai content de partager mon expérience pour essayer de faire en sorte qu’il y en ait un qui arrive à aller chercher ce que nous n’avons pas réussi à aller chercher. Un joueur qui ferait comme nous, ce ne serait pas intéressant entre guillemets (rires) . Un joueur qui ferait mieux, ce serait mieux.
Que voudriez-vous dire aux Sarthois qui vous ont toujours suivi de loin ?
Je voudrais les remercier de ce soutien. Je suis originaire de Savigné-l’Évêque, une commune à une dizaine kilomètres du Mans. Je disais que je n’étais pas né avec une cuillère en or dans la bouche, mais j’ai vécu une enfance dorée. Je ne me manquais de pas grand-chose, j’avais juste ce qu’il fallait pour être bien. J’allais à l’école à pied ou à vélo, j’avais plein de copains, on faisait du sport, du foot dehors, du vélo, on s’éclatait. Ce que je retiens de mes années sarthoises, c’est qu’on n’a pas besoin de brillance pour être heureux. On a juste besoin d’amis, de lien social, d’amour autour de soi, à manger dans l’assiette et un petit toit bien sûr (rires) . Je me retrouve beaucoup dans la simplicité sarthoise et j’ai besoin d’y retourner quand je sens que c’est un peu trop dans ma vie professionnelle. La simplicité, c’est ce que m’a apporté mon département.
Comment envisagez-vous la suite ?
La suite va être cool ! Je me réjouis assez. Évidemment que je vais quitter une partie du tennis que j’adore : la compétition, l’entraînement, ça, j’adorais. Mais en même temps, je quitte une partie du tennis que je n’aime pas : être dans des avions, des hôtels, tout ce qui peut être en lien avec le côté superficiel de ce qu’on fait. Ça, je n’aime pas trop. Je vais aimer ne pas avoir à gérer toute cette logistique, à prendre une décision pour choisir à quel média je vais parler, avec qui je vais faire ça ou ça, etc.
Vous allez pouvoir retourner à vos parties de pêches…
Ça, je ne l’ai jamais quitté. J’ai commencé la pêche quand j’avais cinq ans dans la Sarthe. On allait pêcher dans la Sarthe d’ailleurs (sourire) , dans l’Huisne, dans toutes les rivières avoisinantes. Et ça, ça m’aura tenu pendant toute ma carrière. C’était important pour moi de revenir là-dedans de temps en temps pour juste souffler et me déconnecter de cette machine à laver qu’est le tennis.
ÉPISODE 1. Jo-Wilfried Tsonga par son frère Enzo : « Il a rapidement eu cette flamme en lui »
ÉPISODE 2. « Quand il rentrait d’un tournoi, il allait à la pêche » : Tsonga par ses entraîneurs
ÉPISODE 3. Jo-Wilfried Tsonga vu par ses concurrents : « À 14 ans, on voulait être Jo Tsonga »
ÉPISODE 4. Quel Jo-Wilfried Tsonga après sa retraite ?